Senin, 10 Maret 2014

D'abord adapté au cinéma en 191286 et 191487 en films muets, Martin Chuzzlewit a fait l'objet de



G. K. Chesterton.
John Bowen insiste sur les éléments fantastiques du roman, indissociables, selon lui, de son aspect comique. Il relève d'abord l'enseigne de l'auberge, « Le Dragon bleu » (The Blue Dragon), qui, au cours du récit, devient un « petit monstre domestique, courtois et attentionné » ; les Pecksniff, ajoute-t-il, pensent toujours les gens en termes de monstres : le père traite ainsi le jeune Martin et les filles appellent Tom Pinch « la créature », alors que Jonas devient un Griffin (Griffon) ; la calèche, puis le navire qui emmènent les aventuriers en Amérique paraissent « monstrueux » au même Tom Pinch ; Pecksniff, poète à ses heures, ratiocine sur les animaux qu'il juge mythiques, sans trop savoir « s'il s'agit de cygnes, d'huîtres ou de sirènes »82.
À cette veine, John Bowen rattache directement des personnages comme Pecksniff et Mrs Gamp, « deux créations immortelles », dont il note la « sauvage étrangeté » : M. Pecksniff, certes, est un hypocrite, mais, écrit-il, bien plus que cela. Formidable machine à donner le change, il déploie en toute occasion, sans que les événements ni les commentaires ne le dévient jamais de son cap, la même énergie hypocrite, semble-t-il auto-alimentée6. Mrs Sarah Gamp est elle aussi un monstre, « peut-être, possiblement humain » (« who is or might be human »)83, en soi compendium de la vie, puisqu'elle pratique accouchement et toilette mortuaire (« a lying-in or a laying-out », avec le même zèle et la même alacrité, imbue qu'elle est des mystères de l'univers, la naissance, la mort et « la bouteille sur la cheminée »6.
Cette force satirique, pense Chesterton (1874-1936), conduit à la mélancolie (melancholy). Martin Chuzzlewit, écrit-il, est « vaguement triste, […], avec une prédominance de l'humour dur et hostile sur l'hilarité et la sympathie ». Or, ajoute-t-il, Dickens est toujours à son avantage lorsqu'il rit de ceux qu'il admire le plus, comme cet « ange guêtré » de M. Pickwick, la vertu passive faite homme, ou M. Sam Weller, parangon, lui, de vertu active. Ses fous ou ses excentriques sont aimables, même Barnaby Rudge, le pauvre héros au corbeau. Ici, au contraire, ce sont gens abominables, à l'humour gigantesque, certes, mais de la sorte « qu'on n'aimerait pas laisser une minute à muser seul au clin du feu, tant [leur] pensées sont terrifiantes »84. Cette opinion, émanant d'un écrivain né juste après la mort de Dickens, reflète sans doute la critique en cours au début du xxe siècle. Aujourd'hui au contraire, cette férocité comique apparaît comme l'aspect le plus positif de l'œuvre. Ainsi, John Bowen écrit : « Bien des joies attendent le lecteur de Martin Chuzzlewit », et de citer Chevy Slyme et ses jambes traînantes, Mrs Brigg et ses conférences sur la philosophie des légumes, Mrs Gamp et ses « charmants cadavres », M. Chuffey qui, personnage à la Beckett, attend « sans rien regarder, les yeux privés de vision et le visage dépourvu de signification ». Et son analyse se clôt par le rappel jubilatoire des profondeurs analytiques de Tigg Montague discourant sur l'effective présence des pieds (feet), mais l'inadmissible absence de jambes (legs) chez Shakespeare85.
Martin Chuzzlewit dans la culture populaire[modifier | modifier le code]

D'abord adapté au cinéma en 191286 et 191487 en films muets, Martin Chuzzlewit a fait l'objet de deux mini-séries télévisées de la BBC : une en 13 épisodes de 25 min en 1964 (en Noir et Blanc)88, avec Gary Raymond (Martin Chuzzlewit), Richard Pearson (Seth Pecksniff) et Barry Jones (le vieux Martin Chuzzlewit) ; et une en 6 épisodes de 65 min en 1994, avec Paul Scofield dans le rôle du vieux Martin Chuzzlewit, Tom Wilkinson dans celui de Seth Pecksniff et Keith Allen dans celui de Jonas Chuzzlewit89.
D'autre part, Lisa Simpson, personnage fictif de la série télévisée Les Simpson, mentionne Martin Chuzzlewit dans l'épisode Brother, Can You Spare Two Dimes?, et le compte parmi les meilleurs livres de la civilisation occidentale90. Plus anecdotique, dans le film Barbie in a Christmas Carol, figure un chat nommé Chuzzlewit91, et le personnage incarné par John Travolta dans A Love Song for Bobby Long cite un passage du roman92.
Enfin, le roman joue un rôle important dans The Eyre Affair de Jasper Fforde93, puisque l'héroïne, Thursday Next, est chargée de l'enquête sur le vol du manuscrit de Martin Chuzzlewit.
Dans l'épisode « The Unquiet Dead » de la série Doctor Who, le docteur (Christopher Eccleston) rencontre Dickens (Simon Callow) et, après avoir exprimé son admiration pour le reste de son œuvre, critique le roman et s'exclame : « Mind you, for God's sake, the American bit in Martin Chuzzlewit, what's that about? Was that just padding? Or what? I mean, it's rubbish, that bit » (« Remarquez, ce truc américain dans Martin Chuzzlewit, à quoi ça rime ? C'est du remplissage ? Ou quoi ? Ça vaut rien, ce truc-là »94).
Menelik II d'Éthiopie (ge'ez : ዳግማዊ ምኒልክ, degmawi Menilek Prononciation du titre dans

des exclamations, les pseudo interrogations suivies des bénédictions badines, les contrastes entre


Philip V. Allingham voit trois éléments dans l'aspect picaresque de Martin Chuzzlewit : d'abord l'intrigue Pecksniff-Jonas, exposant les effets destructeurs de l'égoïsme et de l'hypocrisie, et comprenant l'étude psychologique d'un criminel qu'accompagnent des développements à caractère policier ; le voyage du jeune Martin et de Tapley en Amérique reconstituant la paire Don Quixote et Sancho Panza dans la vallée du Mississipi, satire swiftienne de la jeune république ; enfin, l'intrigue centrée sur Sairey Gamp et ses associées25. Cette analyse peut être nuancée : le premier aspect, du moins dans ses développements criminels, ressortit surtout à la mode dite Newgate School of Fiction71 qu'a dénoncée Thackeray ; tandis que les épisodes centrés sur Mrs Gamp servent surtout à souligner les carences du système de soins infirmiers dont souffre l'Angleterre et à faire évoluer un personnage pittoresque comme mu par sa seule énergie comique ; reste donc l'aventure américaine, aux différences près, cependant, qu'il s'agit d'une parenthèse et qu'elle se termine mal puisque les deux héros malheureux sont contraints de revenir au bercail.
Pour autant, cette fuite ressemble à beaucoup d'autres dans l'œuvre de Dickens : un enfant, ici un fils déjà grand, en proie à une sorte de terreur, s'éloigne du danger que représente son environnement (comme dans Oliver Twist ou The Old Curiosity Shop). De plus, Philip V. Allingham souligne la parenté de cette situation avec celle de l'auteur lui-même : un voyage initiatique de la naïveté à la connaissance de soi, un cheminement social de l'insécurité vers l'aisance, et surtout, « l'Odyssée politique de l'aller et retour [Angleterre-]États-Unis »25. En janvier 1842, en effet, Dickens et son épouse confient leurs enfants à leur grand ami l'acteur William Macready, et s'embarquent pour l'AmériqueN 13,72,73. Au départ, Dickens se déclare républicain de cœur et rêve de voir à l'œuvre cette société réputée sans classe qu'ont inspirée les Lumières du xviiie siècle. Il est vite désabusé, ne rencontrant qu'orgueil, mépris xénophobe et violence en lieu de compromis. Son roman donne alors libre cours à une satire de caractère swiftien, où le naïf Gulliver est remplacé par les observateurs inexpérimentés mais ironiques que sont Mark Tapley et le jeune Martin, porte-parole en Amérique de leur créateur :
« Eh bien, cuisinier, à quoi pensez-vous donc qui vous absorbe tellement ? dit Martin. – Je me demandais ce que je ferais, monsieur, répondit Mark, si j’étais peintre et si l’on me chargeait de représenter l’aigle américain. – Vous le peindriez sous la forme d’un aigle, je suppose. – Non, dit Mark. Je n’en ferais rien. Je le représenterais comme une chauve-souris, à cause de sa vue basse ; comme une poule pattue, à cause de sa forfanterie ; comme une pie, image de sa probité ; comme un paon, à cause de sa vanité ; comme une autruche, parce qu’il se cache la tête dans la boue pensant ainsi n’être pas aperçue… – Et comme un phénix, à cause du pouvoir qu’il a de renaître des cendres de ses défauts et de ses vices pour prendre un nouvel essor dans l’azur du ciel. Allons, Mark ; espérons qu’il renaîtra comme le phénix74! »
La poetic diction du xviiie siècle en leurre[modifier | modifier le code]


James Thomson, l'auteur des Saisons.
Une fois la glorieuse ascendance des Chuzzlewit exposée sur le mode humoristique au chapitre I, le roman s'ouvre au deuxième sur une scène quasi champêtre : un petit village du Wiltshire, non loin de la « bonne vieille ville de Salisbury » (« the fair old town of Salisbury »), qu'entoure une campagne idyllique sur laquelle ruissellent les encore drus rayons d'un soleil automnal. Tous les ingrédients d'un paysage conventionnel sont réunis : l'herbe humide qui étincelle, l'éparse verdure des haies, le « sourire joyeux » du ruisseau, les rameaux déjà dénudés mais qu'agrémentent le babillage et le pépiement (chirp and twitter) des oiseaux, la girouette mouillée luisant au haut du clocher pointu, les fenêtres ombrées de lierre répondant par leurs chauds reflets à la glorieuse réjouissance du jour, etc. Aux alentours, un paysage béni et odorant, aux sons assourdis en accord avec l'harmonie universelle, les volées de graines se posant délicatement dans les bruns sillons fraîchement retournés, le patchwork des chaumes dans les champs, le corail des baies, les replets joyaux des fruits agrippés aux rameaux, le tout nimbé de cette lumière oblique du couchant qui « rehausse le lustre du jour qui se meurt » (« aid the lustre of the dying day »)75. Les ingrédients du paysage : les champs, la terre retournée, les haies, le ruisseau, les branchages (verdure, foliage, boughs, twigs), les verbes exprimant la lumière : glowing, glistening, brightening, sparkled, kindling up, les effets créés par la nature : la grâce, le silence, le repos, l'abondance de l'automne, tout cela semble directement issu de la bonne vieille diction poétique76,77 chère à, par exemple, James Thomson (1700-1748) dans ses Seasons (« Les Saisons ») (1726-1730)N 14, ou son Castle of Indolence. Là comme ici, coulent les automatismes d'écriture, le vocabulaire obligé, les séquences qui, s'il s'agissait de vers, s'organiseraient automatiquement en hill (colline), rill (ruisselet), fill (plein), ou vale (vallon), dale (val), gale (rafale), ou encore fly (voler), sky (ciel), ply (brin) et May (mai), gay (gai), pray (prier)78.
Dickens cherche à créér un effet de contraste, car il s'agit d'introduire dans le récit l'odieux Pecksniff ; en effet, alors qu'il paraît, pris dans une féroce bouffée de vent, la nature s'est dévêtue de ses précédents atours et la furie « incontinente » des airs a pris possession de toutes choses79. Voici donc que le monde est déréglé, l'harmonie rompue, le charme campagnard dissipé, et M. Pecksniff se retrouve par terre, dos au sol, sous l'emprise des éléments, tous feux éteints à l'exception des trente-six chandelles perforant son esprit égaré. La diction poétique, évocatrice d'une nature d'abord domptée et docile, riante et saine, s'est muée en une prose féroce où dominent les mots exprimant le chaos et la folie (pell-mell [pêle-mêle], crazy [fou], wreaking its vengeance [exerçant sa vengeance], etc.) : le dur roman peut, en effet, commencer, les variations sur le thème du vent promettant désormais non de doux zéphyrs, mais des ouragans.
L'ironie dramatique facétieuse[modifier | modifier le code]
Autre facette d'essence sentimentale, le poète conventionnel se change parfois en narrateur facétieux qui, choisissant un personnage aimable et honnête, le taquine directement en s'adressant à lui sur le mode héroï-comique (mock heroic) cher au xviiie siècle, par exemple chez Pope. Ainsi, l'excellent Tom Pinch se voit plaisamment brocardé au chapitre V où deux pages sont consacrées à son physique, son habillement et son équipage. Enchâssé dans cette description80, un paragraphe où le thou de majesté et son cortège de désinences verbales en -st, -est, les fausses surprises que scandent des exclamations, les pseudo interrogations suivies des bénédictions badines, les contrastes entre l'enflure du style et les adjectifs qualifiant l'homme et ses atours (simple, scanty [étriqué(e)], etc.), l'insistance sur la bonté innée, le sourire quasi béat, l'admiration naïve professée pour le méchant (Pecksniff, encore mal connu du lecteur mais que le narrateur dévoile peu à peu selon procédé classique de l'ironie dramatique), tout cela confère à ces pages un cachet de bonhommie teintée de paternalisme.
Le sentimentalisme est léger ici, marqué par la bienveillance de l'humour. Il se garde du pathos mélodramatique qui afflige les faibles et les déshérités, (comme la petite Nell dans The Old Curiosity Shop, Joe le balayeur de Bleak House, Oliver Twist à l'hospice, David Copperfield chez Murdstone), etc. :
« Sois béni dans ton cœur simple, ô Tom Pinch ! Avec quelle fierté tu as boutonné cette redingote étriquée que depuis tant d’années on a si mal nommée une grande redingote ; avec quelle candeur tu as invité à voix haute et gaie Sam le valet d’écurie à ne pas lâcher encore le cheval, comme si tu pensais que ce quadrupède eût envie de partir, et que cela lui fût si facile quand il en aurait envie ! Qui réprimerait un sourire d’affection pour toi, Tom Pinch, et non d’ironie, pour les frais que tu viens de faire ? […] Va, mon brave garçon, pars heureux : fais d’une âme tendre et reconnaissante un signe d’adieu à Pecksniff, là-bas en bonnet de nuit, à la fenêtre de sa chambre ; va, nous t’accompagnerons tous de nos vœux. Que le ciel te protège, Tom ! heureux s’il te renvoyait d’ici pour toujours dans quelque lieu favorisé où tu pusses vivre en paix sans l’ombre de chagrin81! »
La veine fantastico-comique[modifier | modifier le code]

ressortit aussi au genre de la farce67, certains personnages réagissant conformément à un schéma



Narrateur ou auteur ?[modifier | modifier le code]
À la manière journalistique dont il est coutumier63, à l'instar aussi de ses grands prédécesseurs du xviiie siècle, Fielding et Smolett en particulier, Dickens s'adresse directement au lecteur, et il n'est que d'observer le titre des chapitres pour remarquer ce souci prétendument didactique. Ainsi, le chapitre II est intitulé : « Wherein certain Persons are presented to the Reader, with whom he may, if he please, become better acquainted » (« Où sont présentées au Lecteur certaines Personnes avec lesquelles, si tel est son désir, il a loisir de faire plus ample connaissance »). La mention du mot « Reader », repris par le pronom personnel « he », l'humble suggestion laissée à son bon plaisir, tout cela tend à le placer au cœur même du récit en cours de présentation.
Reste à déterminer qui parle vraiment à la troisième personne dans ce récit. La distinction entre « auteur » et « narrateur »64, est pertinente dans bien des cas, par exemple dans Bleak House où se démarquent un narrateur à la troisième personne quelque peu en décalage avec Dickens, et surtout une narratrice, Esther Summerson, qui s'exprime à la première personne et présente les faits sous un angle qui lui est particulier, mais n'a plus vraiment de sens ici : ce narrateur ne cherche en rien à se distinguer de l'auteur dont il épouse les enthousiasmes et les indignations, mène les combats et partage les ébaudissements. D'ailleurs, Kenneth Hayens ne s'embarrasse pas de la distinction entre l'un et l'autre dans sa préface (il est vrai que Gérard Genette n'avait pas encore publié ses ouvrages), ne connaissant que « Dickens » : ainsi, dans les rapports entre auteur et personnages, il souligne l'imbrication affective, le manque d'enthousiasme envers le jeune Martin, la passion pour Ruth Pinch, le désintérêt pour l'incorruptible Mary Graham. Il s'agit-là de « parti-pris » (bias), ajoute-t-il, qu'il met entièrement sur le compte de Dickens et non sur celui d'un délégué aux écritures fictif, le dédoublement désormais obligé paraissant artificiel et vain dans le cas de Martin Chuzzlewit54.
Toujours est-il que les intrusions d'auteur abondent, souvent ironiquement pour mettre le lecteur sur la bonne voie de la réflexion. Ainsi, Pecksniff, sa première bête noire, est sans cesse mis en question par l'observateur extérieur, comme dans le chapitre XX, en préambule aux propres interrogations de Jonas sur la confiance qu'il doit lui témoigner : « Ici s’élève une question de philosophie : à savoir si M. Pecksniff avait ou non raison de dire qu’il eût reçu de la Providence un patronage, un encouragement particulier dans ses efforts. […]. Combien d’entreprises, nationales et individuelles (mais surtout les premières), passent pour être dirigées spécialement vers un but glorieux et utile, qui seraient loin de mériter une opinion si favorable, si on voulait les approfondir, au lieu de se borner à les juger d’après l’étiquette du sac ! Les précédents sembleraient donc démontrer que M. Pecksniff appuyait ses paroles sur de bons arguments, et qu’il avait pu à juste titre s’exprimer ainsi, non par présomption, par orgueil ou par arrogance, mais dans un esprit de conviction solide et de sagesse incomparable »65.
La veine théâtrale[modifier | modifier le code]


Page de titre de Tom Jones.
Dickens est féru de théâtre, et s'y rend pratiquement tous les jours66. Ses romans, et Martin Chuzzlewit ne fait pas exception, deviennent des prosceniums et des scènes qui, selon Philip V. Allingham, « grouillent d'action et résonnent de voix [venant] de toutes classes et conditions »25. En effet, il procède de crise en crise à la manière du mélodrame en vogue, présentant adroitement de nouveaux personnages et des décors insolites qui relancent l'intérêt, tel un autre homme de théâtre, Henry Fielding (1707-1754), qui envoie son héros à Londres dans Histoire de Tom Jones, enfant trouvé (1749), alors que lui recourt à un expédient plus radical en l'expulsant aux Amériques.
Dans Martin Chuzzlewit, et en cela, le roman ne fait pas davantage exception, cette veine théâtrale ressortit aussi au genre de la farce67, certains personnages réagissant conformément à un schéma comique préétabli quelles que soient les circonstances dans lesquelles ils se trouvent. Ainsi, un tic nerveux, physique ou verbal, répété à satiété, ou une obsession, comme celle du testament chez le vieux Martin, document constamment remanié, et détruit sans jamais avoir été consulté, ou les lettres que M. Nadget s'écrit et se poste chaque jour, et qu'il brûle méticuleusement dès leur distribution. Parfois, ce comique devient grotesque et même macabreN 11 ; ainsi, le mari de Mrs Gamp vend sa jambe de bois pour une boîte d'allumettes, Pecksniff lui-même compare la jambe humaine à son substitut prothétique et disserte sur l'anatomie de l'art et l'anatomie de la nature : « Les jambes de l’homme, mes amis, sont une invention admirable. Comparez-les aux jambes de bois, et observez la différence qu’il y a entre l’anatomie de la nature et l’anatomie de l’art. Savez-vous, ajouta M. Pecksniff en se penchant sur la rampe avec cet air familier qu’il prenait toujours vis-à-vis de ses nouveaux élèves, savez-vous que je voudrais bien connaître l’opinion de Mme Todgers sur une jambe de bois, si cela lui était agréable ? »68.
Cette jambe de bois, maniée avec virtuosité, finit par surpasser celle qu'octroie la nature, l'objet s'anime alors que l'individu s'est chosifié69. Ainsi, le célèbre vent qui se lève au second chapitre, décroche l'enseigne du Dragon bleu, projette les feuilles et les débris sur l'auguste tête pecksniffienne, puis « [e]nfin, fatigué lui-même de ses petites malices, l’impétueux coureur d’espace s’éloigna, satisfait de sa besogne, mugissant à travers bruyère et prairie, colline et plaine, jusqu’à ce qu’il gagnât la mer, où il alla rejoindre des compagnons de son espèce, en humeur de souffler comme lui toute la nuit »70,N 12.
La veine picaresque[modifier | modifier le code]